MANIPULATION

   Un être manipulateur, qu’il agisse dans sa sphère privée, familiale, professionnelle ou autre, ou sur un public plus large, s’y prend toujours de la même manière. Il commence par mettre sa victime en confiance. Il lui présente un portrait de lui complètement différent de ce qu’il est réellement. Il porte le masque de la personne affable, empathique, sincère, courtoise, respectueuse. Il lui arrive même très souvent d’accentuer largement ces traits de caractère, pour être bien sûr de laisser une bonne impression, dans un premier temps, jusqu’à ce qu’il parvienne à séduire complètement sa victime. Bien évidemment, face à ce parfait gentleman (ou gentle woman), sa cible ne tarde pas à tomber sous le charme. Comme le manipulateur est très doué pour susciter une dépendance, celle-ci va très vite se retrouver en état d’hypnose, dont elle aura ensuite beaucoup de mal à s’extirper.

   Une fois que le manipulateur est assuré que sa victime est bel et bien séduite, convaincue ou amoureuse, il peut se permettre de changer de comportement vis-à-vis d’elle, car il sait qu’elle ne cherchera jamais à s’échapper. Sa proie est désormais sous influence. Le manipulateur peut donc se montrer à elle sous son vrai jour, sans risque qu’elle essaie de s’enfuir. À ses yeux, ceci représente le scénario le plus confortable. En effet, il n’a même pas à faire quoi que ce soit pour que sa victime, consentante, réponde au moindre de ses caprices. Celle-ci devancera même ses désirs, la plupart du temps. D’affable, le manipulateur devient alors indifférent et hautain, son empathie se change en antipathie, sa sincérité se transforme en mensonge et son respect en mépris.

Alors commence un véritable cauchemar pour la victime, car il exige tout d’elle sans jamais aucune contrepartie ni de simple respect ni d’affection. Il devient capricieux dans ses comportements, soufflant habilement le chaud et le froid, de manière à maintenir sa victime pieds et poings liés, sans besoin d'aucune chaîne. Il ment constamment, délibérément ou par omission. Il cultive l’ambiguïté et le quiproquo, pour que sa proie ne sache plus où elle en est et, de nouveau, pour que se prolonge cet état de sidération dans laquelle elle se trouve. Lorsque la victime semble commencer à se poser des questions et à réagir, le manipulateur redevient pour un temps le gentleman/la gentle woman du début, pour la séduire de nouveau, car il faut absolument qu’elle reste dans un état de soumission totale.

  L’une des autres armes de la personnalité manipulatrice est la culpabilisation de sa victime. S’il parvient à susciter un sentiment de responsabilité chez cette dernière, dans tout ce qu’il lui fait subir, le manipulateur a tout gagné. Car il est certain qu’au lieu de se défendre, celle-ci déploiera toute l’énergie nécessaire pour réparer ce dont elle se croira responsable, afin de regagner l’amour, l’amitié ou la sympathie de son geôlier ou de son bourreau.

   Le manipulateur use également d’un autre stratagème pour maintenir sa proie en état de dépendance et de soumission : l’infantilisation. Infantiliser quelqu’un, c’est le faire régresser vers cet état antérieur de l’enfance où l’on est à la fois en état de protection par rapport à ses parents, tout autant que soumis à leur autorité, et donc parfaitement consentant sous la punition. Le manipulateur devient le parent, et la victime l’enfant. Le premier aime et protège le second, il ne le punit que lorsque c’est nécessaire. Mis à part le fait que la punition devient souvent de plus en plus sévère, plongeant la victime en étant de peur, et même d’angoisse à la pensée récurrente de commettre la moindre bêtise qui pourrait fâcher son bourreau. 

   Enfin, dans sa stratégie d’influence, le manipulateur n’oublie pas d’isoler sa victime. Ainsi personne ne pourra attirer l’attention de cette dernière sur ses autres traits de caractère anormaux, au risque pour lui qu’elle s’échappe de ses filets.

   L’emprise peut durer ainsi des semaines, des mois ou des années, jusqu’à ce que la victime prenne conscience qu’elle est sous hypnose et décide de s’en extraire. Autant dire que la tâche est extrêmement difficile, car le manipulateur est généralement une personne très intelligente qui n’en est pas à sa première victime, qui manie habilement le mensonge depuis très longtemps et qui navigue adroitement entre les obstacles qu’il pourrait rencontrer, sachant qu’il les a tous prévus. Car le manipulateur est également très prévoyant, il ne laisse jamais rien au hasard.

   Ce siècle et le précédent sont deux périodes de l’histoire où la manipulation n’a jamais été aussi importante. En réalité, elle règne en maître, à grande échelle et à tous les niveaux. Il n’est donc pas étonnant que cette pratique soit devenue la norme également dans la sphère privée, avec toutes ses funestes conséquences. Si l’être humain veut retrouver son entière liberté sociale, il lui est d’abord nécessaire d’affirmer sa liberté individuelle dans sa sphère privée, en déprogrammant ses vieux schémas et réflexes de soumission.

  Alors, comment faire pour reconnaître un manipulateur et comment agir pour se libérer de son emprise ? Tout d’abord, reconnaître et regarder en face toutes ses caractéristiques.

   Si tu as peur en présence d’une personne en particulier, si à ses côtés tu te sens en permanence épié, infantilisé, accusé, stigmatisé, culpabilisé, et surtout isolé de ton entourage depuis que tu la connais, il ne fait aucun doute que tu te trouves en présence d’un être manipulateur. Dans ce cas, n’attends pas que les choses s’aggravent, et enfuie-toi sans tarder. Une fois que tu auras pris ta décision, ne fléchis pas, quels que soient les arguments que l’on t’oppose, ne crains pas, affirme-toi. Un manipulateur n’est pas quelqu’un de courageux qui attaque de front, ses méthodes sont beaucoup plus sournoises. C’est un lâche qui ne tient son habileté à tenir le gouvernail que dans la navigation en eaux troubles. Alors, toi, ne lâche rien, montre-lui la clarté de tes propres eaux, et, calmement, mais avec fermeté, éloigne-toi au plus vite de lui ou d’elle.