Humilité
HUMILITÉ
Demander à un homme orgueilleux de faire preuve d’humilité, c’est comme attendre d’un lion qu’il bêle comme un agneau.
L’homme orgueilleux se surestime toujours. Il est intimement persuadé d’être au-dessus de la masse. Personne ne l’égale ni ne pourra jamais l’égaler. Il ne peut concevoir l’idée de se retrouver au même niveau que les autres. À ses yeux, ce serait déchoir, et se mettre ainsi en danger, tout en sacrifiant par ailleurs tous les efforts qu’il a faits jusque là pour atteindre son piédestal. À l’idée même de quitter sa place privilégiée, il panique. Il est donc constamment sur la défensive, de façon à ce que cela ne lui arrive jamais. Si par malheur il lui arrive de baisser sa garde en côtoyant une personne qui le subjugue par son intelligence ou sa grandeur d’âme, ce qui est extrêmement rare, il se pourrait que, l’état de sidération passé, il ressente une grande colère intérieure. Celle-ci sera d’autant plus dangereuse qu’il préfèrera la réfréner pour ne pas montrer ses sentiments, car cela dévoilerait une faille en lui, en quelque sorte. Et un aveu de faiblesse à ses yeux.
Car ce qui subjugue le plus un homme orgueilleux, paradoxalement, c’est précisément l’humilité. Plus exactement l’humilité associée à la force de caractère. Le lion rugissant s’interroge : pourquoi cet agneau en apparence si fragile et vulnérable peut-il aller et venir tranquillement dans la vie sans se soucier de quoi que ce soit ? Il gambade joyeusement entre les fleurs des champs en se nourrissant d’herbe tendre, et cela lui suffit. Qui plus est, mes rugissements de bête féroce ne l’impressionnent guère. Comment cela se fait-il ?
Le lion est soudain désemparé, et quelque peu vexé. Il ne comprend pas. Ses certitudes s’effondrent. Suis-je aussi fort que je le pense ? se demande-t-il alors avec angoisse. Se pourrait-il que ce petit agneau de rien du tout soit plus fort que moi, finalement ?
Le roi Lion a perdu ses repères, il vacille sur sa base.
Ainsi en va-t-il de l’orgueilleux qui rencontre un homme humble doté d’un tempérament fort. Il en est surpris, déstabilisé. Il se sent tout à coup très petit devant lui, et cela le surprend plus encore que s’il voyait un homme soulever un menhir d’un seul doigt.
En effet, dans son esprit comme dans celui de beaucoup de gens, humilité est souvent synonyme de faiblesse, de soumission et de complexe d’infériorité.
Ce qui pourtant est loin d’être le cas. Un homme fort et équilibré fait en même temps preuve d’humilité, non seulement parce qu’il n’a rien à prouver à personne, mais aussi par respect et compassion envers tous ceux qu’il rencontre sur sa route et qu’il considère comme ses égaux.
Au contraire, l’orgueilleux est souvent quelqu’un qui manque de compassion envers les autres autant qu’envers lui-même. La raison principale en est qu’il en aura manqué dans son enfance, ou qu’il aura reçu une éducation extrêmement sévère ou inappropriée. L’homme orgueilleux bombe le torse comme l’orang-outang sur le point d’attaquer un ennemi. Il vocifère de sa voix de stentor pour faire taire celle qui habite son esprit, cette voix méprisante et accusatrice qui l’a tant rabaissé lorsqu’il était petit. L’orgueil est son arme de défense, qu’il déploie systématiquement pour ne pas avoir à s’en servir. « La guerre, c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force ». La célèbre phrase de Georges Orwell dans son roman, « 1984 », et particulièrement le premier tiers, est la citation préférée de notre roi Lion.
Le lion n’a peur de rien, et rien ne l’émeut. L’orgueilleux non plus. À une exception près, toutefois : cette humble personne tombée de nulle part qui fait preuve d’une infaillible force de caractère en sa présence et qui ne craint pas de répondre à ses rugissements, de sa voix frêle, mais ferme.
Aussi, si tu te considères comme une personne humble, ou plutôt si l’on dit souvent de toi que tu en es une – car un être modeste ne se prétendra jamais comme tel, ce qui équivaudrait alors à de l’orgueil – continue à tenir tête à l’orgueilleux, mais en toute humilité, sans chercher à te hisser à son niveau, qu’à ses yeux tu ne pourras jamais atteindre, de toute façon.
Ainsi, en constatant ta force, et surtout ta sérénité intérieure, il se peut que notre lion comprenne enfin qu’il est possible d’être à la fois humble et heureux. Si tu ne crains pas de lui montrer le chemin de la liberté intérieure nécessaire pour cela, il finira peut-être par quitter son masque d’orgueil pour vivre enfin sa vie dans la joie et la confiance, au lieu de la subir dans la peur et sur la défensive.
Et c’est ce que nous souhaitons de tout notre cœur à tous les orgueilleux de la terre encore prisonniers de leurs souffrances.
L’exemple du lion ci-dessus te fait peut-être penser spontanément à quelqu’un. Si c’est le cas, en sa présence ne baisse jamais la tête tel un être soumis, mais ne te départis pas non plus de ton humilité en cherchant à te hisser plus haut que lui pour le toiser de ton mépris. Reste calme et sûr de toi. Regarde-le seulement avec une compassion sincère, il en a grand besoin, contrairement aux apparences, et même si lui l’ignore encore. Car il se pourrait bien que tu sois pour lui sa porte du salut.
C’est ainsi que Jésus, homme humble entre tous, se comportait avec ses détracteurs, y compris les plus acharnés d’entre eux. Et c’est aussi comme cela qu’il convient de comprendre ses paroles si souvent mal perçues et parfois décriées : « si quelqu’un te frappe sur une joue, présente-lui aussi l’autre. » Luc 6 : 29.
Des siècles plus tard, au 19e, le geste de la gifle publique entre deux nobles constituera le symbole déclencheur d’un duel. Car la personne giflée aura subi là un affront impardonnable, qui l’aura profondément touché dans son orgueil. La question qu’il eût été judicieux de se poser en ce temps-là n’était-elle pas : une simple blessure d’orgueil vaut-elle la blessure physique d’un homme ? Vaut-elle un « duel de sang » ou même un « duel à mort » ?
En ce qui te concerne, toi qui viens de tendre à l’orgueilleux ta joue d’humilité, tends-lui maintenant celle de ta force intérieure, puis attends.
Tu pourrais bien être surpris du résultat.
MPV